Pyromanie, Algérie et Diplomatie
- Jovanie J. Montoille
- 15 janv.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 janv.
Ces derniers mois, plusieurs affaires ont mis en lumière les tensions croissantes entre l’Etat algérien et ses ressortissants les plus visibles sur les réseaux sociaux. Entre censure, rappels à l’ordre et scandales diplomatiques, le pouvoir en place semble pris au piège de sa propre inconstance.
La question des influenceurs algériens accusés d'incitation à la haine et de propos polémiques sur les réseaux sociaux, notamment ceux résidant en France, illustre bien l’hypocrisie et la fragilité d’un régime qui ne sait plus comment gérer sa propre diaspora : l’Algérie a refusé de les accueillir sur son territoire, prétextant une décision arbitraire de la part de Paris.
Un comble pour un pays qui, dans le même temps, ne cesse de pourchasser les voix dissidentes sur son propre sol, touche de la France des allocations, bénéficie d'accords migratoires les plus favorables et ne commémore pas avec la France des actes terroristes qui ont impliqué ces dernières décennies bon nombre de ses ressortissants.
Qui sont ces "influenceurs" ?
Sofia Benlemmane
Influenceuse franco-algérienne suivie par plus de 300 000 personnes sur TikTok et Facebook, elle est poursuivie pour des vidéos contenant des menaces de mort et des injures publiques. Elle comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Lyon le 18 mars 2025.
Doualemn
Influenceur algérien de 59 ans, arrêté à Montpellier après la publication d'une vidéo litigieuse sur TikTok. Il a été expulsé vers l'Algérie, qui a refusé de l'admettre sur son territoire, le renvoyant en France.
Zazou Youssef
Âgé de 25 ans, cet influenceur a été arrêté à Brest pour une vidéo appelant à des attentats en France et à des violences en Algérie. Il est en détention provisoire et sera jugé le 24 février pour apologie du terrorisme, risquant jusqu'à sept ans de prison.
Imad Tintin
Influenceur de 31 ans, arrêté près de Grenoble pour une vidéo incitant à des actes violents en France. Il est également en détention provisoire et sera jugé le 5 mars pour provocation à des actes de terrorisme.
L’Algérie veut-elle jouer avec le feu ?
Le gouvernement algérien oscille entre autoritarisme et impuissance, révélant ainsi ses contradictions profondes en matière de liberté d’expression et de souveraineté. D’un côté, il traque les journalistes, militants et opposants sur son territoire, leur infligeant des peines sévères pour la moindre critique du pouvoir. De l’autre, il se montre incapable de maîtriser les dérives de ses ressortissants influents à l’étranger, qui propagent des discours polémiques et attisent les tensions.
Le refus catégorique d’accueillir les influenceurs expulsés par la France illustre parfaitement cette incohérence. En agissant ainsi, le régime ne fait que souligner son incapacité à assumer ses responsabilités internationales et expose une fragilité qui entame davantage son image sur la scène diplomatique. Ce manque de fermeté affaiblit la position de l’Algérie dans ses relations avec la France et, plus largement, avec ses partenaires étrangers.
Alors que le pouvoir algérien revendique haut et fort son indépendance et sa souveraineté, son attitude face aux expulsions trahit un malaise profond. En choisissant de ne pas reprendre ses propres ressortissants, il envoie un signal contradictoire : une volonté de s’opposer à la France tout en évitant de gérer des figures controversées sur son propre sol. Cette stratégie du rejet ne fait qu’alimenter les tensions et renforcer l’image d’un régime hésitant, pris entre la peur de l’instabilité interne et l’incapacité à s’imposer à l’international.
Plutôt que d’adopter une ligne claire et assumée, le pouvoir algérien semble naviguer à vue, oscillant entre provocation et esquive, sans jamais réellement affirmer sa souveraineté de manière cohérente.
L’islamisme et le numérique
L'islamisme archaïque, dans sa forme la plus insidieuse, se dissimule derrière le masque séduisant de la modernité numérique. À travers les réseaux sociaux, ces influenceurs utilisent la technologie comme un habit de légitimité, parant des discours radicaux de la façade d'un monde connecté, apparemment ouvert et progressiste.
Ces amateurs exploitent les outils numériques pour diffuser une idéologie qui, sous son apparence moderne, reste profondément ancrée dans des concepts archaïques et répressifs.
La surveillance des islamistes d'origine algérienne en France fait l'objet de mesures de sécurité et de renseignement par des autorités comme la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Les personnes et groupes concernés par cette surveillance sont souvent associés à des mouvances extrémistes ou à des idéologies radicales, notamment celles qui prônent un islam politique ou un islamisme violent.
Il est important de noter que les autorités françaises ne publient pas de listes de personnes surveillées, en raison de la confidentialité des enquêtes de renseignement. Cependant, plusieurs types de groupes et de profils sont particulièrement suivis :
Les prêcheurs et figures médiatiques : Certains prédicateurs, influents sur les réseaux sociaux ou dans des mosquées, peuvent être surveillés s'ils prônent des idées jugées radicales ou incitent à la violence. Des figures médiatiques d'origine algérienne ou ayant des liens avec l'Algérie, dont les discours peuvent aller à l'encontre des principes républicains, sont parfois dans le collimateur des autorités.
Les associations et collectifs islamistes : Certaines organisations, comme les frères musulmans, qui peuvent avoir des liens avec des mouvements islamistes ou des courants idéologiques radicaux, sont souvent suivies de près. Bien que la majorité de ces organisations se déclarent modérées, certaines ont des branches radicales ou sont accusées de promouvoir une vision politique de l’islam en dehors des institutions républicaines.
Les individus suspects de radicalisation : La surveillance concerne également des individus identifiés comme potentiellement en voie de radicalisation, en raison de leur discours ou de leurs actions, comme des recrutements pour des groupes djihadistes ou des appels à la violence.
Vers un autoritarisme 2.0 ?
Plutôt que de se soustraire à ses responsabilités, l'Algérie aurait tout à gagner à clarifier sa position : encadrer ses influenceurs dans un cadre de régulation cohérent et respectueux des libertés et renoncer à cette posture ambiguë qui risque de la voir sombrer dans un autoritarisme numérique archaïque et déconnecté des évolutions du monde moderne.
Entre une censure interne omniprésente et des tensions diplomatiques croissantes à l’échelle internationale, l’Algérie semble piégée dans un système politique en proie à ses propres contradictions, une spirale qui ne cesse de se refermer sur elle-même.
Solidarité, soutien et reciprocité
La plateforme qui permet de consulter les montants alloués dans le cadre de l’aide publique au développement (APD) montre que, pour l'Algérie, le montant annuel versé en 2022 (dernières données disponibles) s'élevait à 131,79 millions d'euros. Ce montant était de 112,23 millions en 2021 et de 111,63 millions en 2020.
800 millions d'euros ont au total été versés entre 2017 et 2022.
D'après un rapport de la direction générale des étrangers en France, 646.462 titres de séjours à des ressortissants algériens ont été accordés en 2023, loin devant les autres pays. 603.482 Marocains ont reçu un titre de séjour en 2023 et 289.942 pour les Tunisiens.
Pour 2024, les données officielles ne sont pas encore disponibles. Les statistiques sur les titres de séjour sont généralement publiées annuellement par le ministère français de l'Intérieur, souvent au début de l'année suivante. Ainsi, les chiffres pour 2024 devraient être publiés très prochainement.
Les ressortissants algériens bénéficient d'un régime particulier en France, en vertu de l'accord franco-algérien de 1968, qui leur accorde des conditions plus favorables en matière de circulation, d'emploi et de séjour.
Il est important de relever que l'Algérie n'a pas envoyé de représentants officiels aux premières grandes commémorations de l'attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015, à cette occasion, bien avant et encore après, des ressortissants de ce pays étaient impliqués dans les actes terroristes qui affectent notre pays. En effet, alors que des centaines de leaders mondiaux et de personnalités politiques ont pris part à la marche républicaine du 11 janvier 2015 à Paris, l'Algérie n'a pas envoyé de délégué.
Cette absence est un message clair : le détachement au soutien et à la solidarité attendue à l’égard de la France. Cette décision reflète les tensions diplomatiques liées à des sujets plus larges, comme la gestion de la mémoire de la guerre d'Algérie, la question du rôle de la France dans les affaires algériennes, et le rapport à l'islam.
Il est à noter que l'Algérie a condamné fermement l'attentat contre Charlie Hebdo et a exprimé sa solidarité avec la France après l'attaque (qui ne l’a pas fait…)… Toutefois, la participation officielle de l'Algérie aux commémorations de janvier est synonyme d’absence, sans doute le fait d’une belle et pudique retenue diplomatique.
En janvier 2025, l'Algérie n'a pas participé aux commémorations du 7 janvier en France, marquant le dixième anniversaire des attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, on relèvera, seule, la solidarité du recteur de la Grande mosquée de Paris, l'algérien Chems-eddine Hafiz, quia dit sa «solidarité totale» avec les victimes des attentats de janvier 2015.
Le refus de reprise par l'Algérie de certains terroristes et influenceurs radicalisés est une question que l’on considère faussement complexe.
L’Algérie, marquée par de fortes considérations liées à sa sécurité nationale, ses principes de souveraineté et des préoccupations liées aux droits de l'homme, coopère pour lutter contre le terrorisme et la radicalisation, mais se sert de divergences politiques, diplomatiques, juridiques ou administratives pour botter en touche...
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