Emmanuel Macron et l’hypocrisie de l’avortement
- Jovanie J. Montoille
- 5 janv.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 janv.

Voeux d'Emmanuel Macron - 31/12/2024
Certains dirigeants politiques se revendiquent comme progressistes et pionniers en matière de droits reproductifs, notamment en matière d'avortement, clamant fièrement des avancées pour les femmes et la société. Pourtant, cette auto-congratulation semble négliger la réalité européenne, où notre pays ne figure pas parmi les meilleurs élèves. Alors que de nombreux États européens ont légalisé l'avortement de manière large et accessible depuis plusieurs décennies, ces proclamations progressistes font écho à un retard flagrant, laissant les femmes se heurter à des obstacles pratiques, juridiques et sociaux bien réels.
Dans ce contexte, il est essentiel de replacer les discours dans la réalité des droits acquis, qui demeurent insuffisants dans certaines parties de l'Europe.
Inscrire le droit à l'avortement dans la constitution est une avancée symbolique importante, mais cela ne suffit pas si la pratique n'évolue pas de manière concrète. La véritable progression réside dans l'amélioration de l'accès réel à l'avortement : garantir des services de qualité, supprimer les obstacles administratifs, et mettre en place une éducation sexuelle claire et une prévention efficace. En effet, si le droit est inscrit sur le papier mais que les femmes se heurtent à des difficultés d'accès, des stigmatisations ou des délais d'attente, l'objectif n'est pas pleinement atteint. Il est donc essentiel de se concentrer d'abord sur la mise en place de structures solides, d'un système de santé accessible et de mesures concrètes pour que ce droit devienne véritablement effectif et respecté au quotidien.
Malgré cette avancée historique, la France n'a pas été aussi radicale et prévoyante que d'autres pays européens en matière de droits reproductifs :
URSS (1920) : Premier pays à légaliser l'avortement sous Lénine, dans un cadre de santé publique et d'émancipation des femmes. Il sera interdit sous Staline en 1936, puis à nouveau autorisé en 1955.
Islande (1935) : Légalisation sous conditions médicales et en cas de viol, marquant une première avancée en Europe.
Espagne (1936) : l'avortement est légalisé en Catalogne sous l'impulsion du mouvement "Mujeres Libres" puis en 1937 par le gouvernement espagnol. Francisco Franco l'interdit en 1939.
Suède (1938) : Dépénalisation partielle pour raisons médicales et eugéniques, ouvrant la voie à une légalisation plus large en 1974.
Royaume-Uni (1967) : Abortion Act, autorisant l'interruption de grossesse sous certaines conditions, notamment en cas de risque pour la santé physique ou mentale de la femme.
États-Unis (1973) : L'arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême reconnaît le droit constitutionnel à l'avortement, bien que cette protection ait été annulée en 2022.
France (1975) : Loi Veil, après un intense débat, instaurant la légalisation sous conditions.
Allemagne de l'Est (1972) et Pays-Bas (1984).
Dans d'autres pays européens ou occidentaux, des avancées plus marquées ont été réalisées :
Pays-Bas
Les Pays-Bas ont une des législations les plus libérales sur l'avortement. L'avortement est légal jusqu'à 24 semaines de grossesse, avec des procédures médicales strictes en place pour garantir la sécurité de la femme. Le système de santé néerlandais garantit également un accès facile et des services de conseil avant, pendant et après l'avortement. De plus, l'éducation sexuelle et la contraception sont largement disponibles, ce qui contribue à prévenir les grossesses non désirées.
Suède
La Suède offre un cadre législatif très favorable à l'avortement. L'avortement est légal jusqu'à 18 semaines sans conditions particulières, et il est autorisé au-delà de cette période pour des raisons de santé. L'accent est mis sur le respect des droits des femmes et sur un système de santé publique bien développé qui permet aux femmes d'accéder facilement à des soins d'avortement de qualité.
Canada
Le Canada a aboli toutes les restrictions légales concernant l'avortement en 1988. Aujourd'hui, l'avortement est accessible à toutes les femmes, sans délai légal ni exigence de justification, au niveau national. Les services d'avortement sont couverts par le système de santé publique canadien, ce qui garantit un accès gratuit ou à faible coût.
Danemark
Le Danemark permet l'avortement jusqu'à 12 semaines de grossesse sans justification, et au-delà de 12 semaines pour des raisons médicales ou sociales. Les femmes ont un accès facile à des conseils et des soins de qualité, et l'avortement est largement accepté dans la société danoise. Le système de santé publique danois permet également de garantir l'accès aux services de manière équitable.
Norvège
En Norvège, l'avortement est légal jusqu'à 12 semaines de grossesse sans justification. Au-delà de 12 semaines, l'avortement est autorisé pour des raisons de santé, et des procédures administratives sont mises en place pour garantir la sécurité et l'accès à l'avortement. Le système de santé publique norvégien offre un accès égal aux services d'avortement.
Islande
L'Islande est un autre pays où l'avortement est légal et largement accessible. Les femmes peuvent avorter jusqu'à 22 semaines de grossesse, et les services sont fournis gratuitement par le système de santé publique. L'Islande a également une approche proactive en matière de planification familiale et de prévention des grossesses non désirées.
France
La France a légalisé l'avortement en 1975, et les femmes ont droit à l'avortement jusqu'à 14 semaines de grossesse. Le système de santé français garantit un accès gratuit à l'avortement, et des services de conseil et de soutien sont largement disponibles. La législation a été renforcée pour garantir l'accès à l'avortement, y compris des protections légales contre les pressions extérieures.
Malgré les avancées législatives, l’accès à l’IVG reste inégal en France. Dans certaines régions, notamment en milieu rural ou ultramarin (comme en Outre-mer), le manque de praticiens pratiquant l’IVG contraint les femmes à se déplacer sur de longues distances, voire à aller à l’étranger (Belgique, Espagne) lorsque les délais sont dépassés.
Un manque de moyens dans les hôpitaux
De nombreux établissements hospitaliers rencontrent des difficultés à répondre à la demande, faute de personnel et de financement. La fermeture de services d’IVG dans plusieurs hôpitaux publics accentue ces tensions, rendant l’accès plus compliqué pour certaines femmes.
Une clause de conscience qui limite l’accès
La loi française permet aux médecins d’invoquer une "clause de conscience" spécifique à l’IVG pour refuser de la pratiquer. Si cette clause est censée être encadrée, elle contribue parfois à restreindre l’offre, notamment dans des zones où peu de praticiens acceptent de réaliser l’intervention.
La pression des mouvements anti-avortement
Bien que minoritaires en France, les mouvements anti-IVG restent actifs et exercent une pression sur certaines structures médicales ou sur les femmes elles-mêmes (désinformation en ligne, manifestations devant des centres IVG, etc.).
Un accompagnement psychologique insuffisant
L’abolition du délai de réflexion a facilité l’accès à l’IVG, mais certaines critiques soulignent un manque d’accompagnement psychologique pour les femmes qui pourraient en ressentir le besoin.
Un accès encore plus difficile en Outre-mer
En Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion, les délais de prise en charge sont plus longs et les structures médicales moins nombreuses, ce qui oblige certaines femmes à avorter tardivement ou à renoncer à l’intervention.
Depuis 2017, la France a connu la fermeture de plusieurs centres pratiquant l'interruption volontaire de grossesse (IVG), ce qui a exacerbé les inégalités d'accès à ce service essentiel.
Mais en réalité, au cours des dix dernières années, environ 130 centres d'orthogénie ont fermé en France, réduisant ainsi l'offre de services liés à l'IVG.
Si la France a renforcé la protection du droit à l’avortement, notamment avec son inscription dans la Constitution en 2024, des obstacles persistent : inégalités territoriales, manque de moyens hospitaliers, clause de conscience et pression des opposants. Pour garantir un accès réel et universel à l’IVG, des efforts restent nécessaires, notamment en matière de formation médicale et de structuration du réseau de soins.
Et oui, malheureusement, la France est loin d'être pionnière, il est fort probable qu'en allant la constitution en main à la rencontre du Président, une femme qui a besoin d'avorter et qui cherche un endroit sûr pourra s'entendre dire : " je traverse la rue, je vous en trouve"...
Comments